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A quoi sert la médiation professionnelle ? (Part.2)

La résolution du conflit

 

Après de nombreuses années passées dans l’adversité, David ayant adopté une stratégie d’abandon, n’acceptant ni la résignation ni la domination par son frère, la situation nouvelle les met face à la nécessité de renouer le dialogue pour trouver eux-mêmes une solution face aux truands marseillais qui menacent leur vie.  Ils comprennent, grâce notamment à l’intercession de leur mère et des autres frères, que seul l’altérité pourra leur permettre de survivre. Grâce à l’intervention d’un des frères pour les ramener à la raison, l’esprit de solidarité fraternelle va ressurgir malgré de nombreuses tensions entre eux, et Dan, l’aîné va finalement braver le danger et sauver l’honneur de son frère. La relation qui s’orientait de nouveau vers une rupture, est finalement aménagée, et prend donc une nouvelle dimension, pas loin de la reprise. En effet, quand chacun prend conscience, à un moment donné, qu’il souhaite imposer sa solution à l’autre, et comprend alors les bonnes intentions de l’autre, ce qui permet à la situation de s’apaiser. Dan comprend que son jeune frère a utilisé l’argent volé, non pour lui, mais pour racheter la maison familiale injustement confisquée par les banques suite à la faillite du père assassiné. Les cinq frères vont alors s’unir pour défendre et venger la mémoire de leur père assassiné, en attaquant les malfrats, qui étaient aussi à l’époque à la solde de l’associé de leur père. C’est eux qui l’ont tué ! Quant à leur mère Suzie, elle survit grâce à l’apaisement de la situation, le retour dans leur maison familiale de Marseille et l’amour de ses fils. C’est presque un « happy end », mais David va périr dans l’attaque des truands, laissant la famille apaisée mais de nouveau endeuillée. 

 

Quel rapport avec une médiation en entreprise ?

Nous traitons les mêmes ressorts émotionnels et relationnels lors d’une médiation professionnelle entre deux membres d’une entreprise. Un conflit, même s’il peut se propager à une équipe, ou entre deux équipes, est généralement le fait d’une relation dégradée entre 2 personnes. Souvent la relation est devenue conflictuelle depuis des mois ou des années, et sans doute les racines du conflit remontent-elles à un événement vécu différemment par les personnes concernées.

 

Le contexte : 

Voici l’exemple d’une PME du Sud de la France, filiale d’un groupe en forte croissance, et présent dans une dizaine de pays, il met en œuvre ces dernières années de nombreuses transformations et spécialise certains sites sur la production, d’autres sur le service. La France n’y échappe pas, et le départ du Directeur Général il y a un an, à la suite d’un désaccord sur la stratégie, a fragilisé les relations des membres du comité de direction de l’entreprise française. L’ancien dirigeant souhaitait accroître la part de la production alors que le groupe souhaitait spécialiser la France sur le service et l’Italie sur la fabrication. Son départ a été simultané avec la délocalisation de la production (qui n’avait pas été annoncée par lui) et le changement de métier vers le service. 

Cette transformation forcée, la découverte de l’arrêt de l’activité de production et le départ du référent naturel ont été vécu comme un traumatisme. De plus, le management était depuis une quinzaine d’année très centré autour de ce DG, qui avait finalement assez peu autonomisé ses collaborateurs. Or, le groupe a demandé au comité de direction de travailler désormais en autogestion, ce qui a perturbé certains membres, habitués depuis toujours à avoir un référent, et créé de l’ambiguïté autour de la répartition des rôles de l’ancien DG entre les membres du Comité de Direction. 

Cela a exacerbé des tensions existantes et dégradé la qualité relationnelle entre plusieurs membres de l’entreprise, ce qui a finalement débouché sur un conflit entre deux membres du comité de direction.  

 

 

La méthodologie :

Après un entretien préalable avec chacun des 5 membres du comité de direction qui nous a permis de découvrir les points de cristallisation du conflit entre 2 personnes en particulier : la directrice commerciale et le directeur du service client. Nous avons ensuite engagé des entretiens individuels structurés avec les 2 membres en conflit. Lors de ces entretiens nous avons pu mettre en évidence les éléments suivants : jugements, prêtes d’intention, contraintes subies des 2 côtés. 

 

Les faits :

Depuis plusieurs mois, ces deux membres du comité de direction ont régulièrement des altercations. La raison évoquée lors de ces conflits est une vision différente de la conformité des commandes, qui sont régulièrement bloquées pour irrégularité par le service client, qui fait office d’administration des ventes.

Ce qui brise l’harmonie des principes relationnels de chacun :

 

L’interprétation :

Pour la directrice commerciale, le directeur du service client manque totalement de discernement sur les règles, à appliquer ou pas, par manque de compétences. Il les applique aveuglement sans relativiser ni faire de différence entre les enjeux de deux commandes très différentes. C’est donc une personne rigide, manquant de confiance en elle, et qui reporte ses frustrations personnelles sur les imperfections des commandes. C’est un tyran qui bloque tout ce qu’il peut pour se venger car il ne l’aime pas. Il fait finalement ce qui ressemble à des caprices.

Pour le directeur, la directrice commerciale est quelqu’un qui manque de respect pour les autres, mais également pour les règles. Elle est souvent amenée à faire des approximations par méconnaissance de ses clients. C’est une personne intolérante, qui s’énerve quand on n’accède pas à ses demandes immédiatement, car elle ne connaît pas bien ses dossiers et cherche à les faire passer en force. Il la juge également misandrie (n’aime pas les hommes), et peut-être même un peu raciste.

 

La légitimité de point de vue :

Le directeur pense qu’il ne fait que son devoir. Heureusement qu’il est là pour éviter les erreurs. Il applique les règles qui ont été décidées par l’entreprise, et notamment par l’ancien directeur général. Ce dernier, qui l’a recruté et formé, était réellement quelqu’un de bien. Lui il l’appréciait à sa juste valeur. La directrice commerciale doit absolument faire son chiffre. Heureusement qu’elle est là pour faire vivre tous les salariés. Elle a une grande pression du siège pour passer toutes les commandes rapidement en fin de mois. Elle ne peut pas passer des heures à finaliser tous les détails inutiles de ces règles d’un autre âge.  

 

Les remords :

La directrice commerciale sent qu’elle aurait du tout de suite demander le poste de directrice générale, cela aurait permis d’imposer sa volonté plus facilement. De son côté, le directeur aimerait bien pouvoir mieux réagir, être plus ouvert à la discussion, mais il ne sait pas comment faire.

Cela contribue à faire en sorte que chacun cherche à satisfaire ses besoins émotionnels.

 

Les conséquences :

Le directeur du service client sort de ses gonds quand on lui reproche de faire exprès de refuser les commandes ! Il ne peut pas accepter ces assertions ! De son côté, la directrice commerciale devient peut-être trop impulsive et s’emporte quand ses commandes sont bloquées et qu’on lui demande de les corriger. Les émotions se déchaînent, parfois devant les autres salariés… Ce qui fait désordre !

 

 

Les contraintes :

La réaction de la directrice, impulsive et extravertie, dérange le directeur, calme et introverti, car il se sent agressé par ces hausses de ton et ces invectives. Il n’accepte pas ce manque de respect. Il le vit comme une contrainte forte. Ce n’est pas comme cela qu’on doit se comporter. La directrice vit mal cette situation où on lui reproche des détails, où on la prend pour une élève qui n’a pas appris sa leçon. Cela lui rappelle sa maîtresse d’école de CM2 avec qui elle était en conflit à la suite d’une injustice. Elle veut pouvoir avancer vite, ramener le plus de commandes possibles, sans être entravée par une personne qui impose ses règles inutiles !

 

La légitimité d’action :

Comme il ne sait pas comment réagir aux « assauts » de la directrice, le directeur se referme un peu plus sur lui-même. Par effet de surenchère, il devient encore plus silencieux et inexpressif. C’est sa manière maladroite d’exprimer sa colère. La directrice elle, perd un peu le contrôle de ses émotions, elle qui est déjà d’ordinaire assez énergique, se met à gesticuler et à crier. Elle n’arrive pas à trouver d’autres moyens de réagir. 

 

La rancœur :

De son côté, le directeur aimerait bien retrouver la situation d’antan. Si seulement il pouvait faire appel à un directeur général pour trancher la situation, le protéger de cette énergumène. La directrice pense que l’ancien directeur général a trop centralisé le pouvoir, c’est lui qui a créé cette situation où la plupart des salariés manquent d’autonomie, et sont perdus, se raccrochant à des règles plutôt qu’à la réalité.

Pour rétablir un équilibre dans la compréhension de la situation, chacun va interpréter, prêter des intentions, subir les contraintes de l’autre…

 

Prêts d’intention :

Le directeur pense que la directrice agit comme cela car elle veut l’humilier. Comme il est un homme, il devrait se soumettre par galanterie selon elle ! C’est surtout pour faire passer des dossiers incomplets qu’elle ne sait pas corriger, et elle cherche à masquer ses insuffisances. La directrice pense que le directeur veut compenser une frustration, et fait des caprices comme un enfant. Son intention est de montrer qu’il existe et qu’il a du pouvoir lui aussi, qu’il est incontournable ! 

 

Légitimité d’intention :

Le directeur est dans son rôle de garant de la qualité des commandes et des livraisons. Heureusement qu’il est là pour assurer cette tâche ingrate ! Sans lui ce serait rapidement la débandade ! De son côté, la directrice doit absolument faire entrer un maximum de chiffre d’affaires chaque mois. La survie de l’entreprise dépend d’elle. Si elle ne le faisait pas, elle manquerait à tous ses devoirs.  

 

Le ressenti :

Le directeur sent remise en cause par la directrice qui ne reconnait pas sa légitimité et son statut de directeur. Il est manager après tout ! Elle doit lui marquer du respect ! La directrice est très frustrée de perdre du temps avec ces broutilles, elle a des choses plus importantes à faire que de devoir discuter des détails de chaque commande avec un personnel administratif tatillon ! 

 

La Rancune :

Le directeur garde de la rancune face à ces altercations et à ces attaques régulières de la directrice. Elle est fâchée contre le directeur qui fait exprès de bloquer ses commandes. Et lui en veut personnellement.

 

Photo de fauxels provenant de Pexels

Résolution du conflit

Les entretiens individuels de 2 heures ont permis de faire une première prise de conscience. 

La directrice reconnait que sa façon de procéder et son impulsivité son certainement très contraignante pour le directeur, qui préfère analyser les points en détail et au calme, quand elle agit plutôt dans l’instant. Elle pense qu’elle pourrait travailler sur elle-même pour mieux écouter les explications et tenter de comprendre un peu plus les reproches qui sont faits concernant le non-respect des procédures.

Le directeur dit que sa manière d’être assez intransigeante et à cheval sur les règles est peut-être mal interprétée. Il reconnaît à demi-mot qu’il ne peut réellement envisager une autre manière de faire que la sienne, et que c’est peut-être une limite dans le dialogue avec la directrice. Il préfère l’écrit, elle préfère l’oral. 

Une fois cette prise de conscience faite, la redescente émotionnelle de chacun a permis de les réunir pour une médiation conjointe. Là, grâce à l’accompagnement du médiateur garant du cadre de sécurité et du respect des règles relationnelles établies par les personnes concernées, un aménagement de la relation professionnelle a pu avoir lieu. Un modus operandi a été décidé par les deux personnes. Cela leur a permis de travailler ensemble, puis, avec un peu de temps, de mieux s’apprécier, et de reconstruire une nouvelle relation. Au bénéfice de toute l’entreprise. 

 

Lire la 1ère partie.

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