Il faut savoir gratter la surface…

photoDorénavant, chaque mois je publierai l’article d’une personne que je côtoie professionnellement, en général quelqu’un qui a créé son activité et dont les centres d’intérêt croisent parfois les miens…
Le premier de la série d’invités est donc Frédéric Dumas https://www.linkedin.com/in/samudf, un autre ‘Français de Pologne’ qui a développé à Cracovie son activité. Il conseille des entreprises Polonaises et Françaises en les aidant à s’installer ‘de l’autre coté’ et il leur trouve également des partenaires dans les domaines de l’IT et des Telco.
Il écrit en général des billets de Geek ici http://blog.siteparc.fr/, mais nous partageons un intérêt pour la communication liée aux offres de service.
D’où son observation ci-après.

La silhouette est modeste, et presque en service commandé. Au fond d’une coursive où sont déployés des dizaines de sanitaires en batterie, c’est un peu un rituel dans ce centre commercial polonais: la dame pipi est d’astreinte à coté de la sébile qui doit collecter la contribution volontaire que voudront laisser les clients. Les toilettes sont propres, du coté de cette femme les engagements sont respectés.

Oh, vous vous doutez du contrat moral qui s’impose au béat qui vient se soulager : une brave personne s’occupe de vous faire place nette, elle a bien du mérite face à la marée humaine qui se déverse par centaines de toutes ces boutiques. Une pancarte est rédigée pour vous inciter à récompenser d’un don ce mérite. Plus ou moins littéralement, on peut y lire :

Chers clients
Notre personnel de nettoyage qualifié s’assure par son travail de la propreté de ces toilettes. Nous suggérons un payement volontaire d’un zloty [25 centimes d’euros]. Dans le cas où vous ne seriez pas satisfait de la qualité de nos services, veuillez le faire savoir à la direction du centre.

Comment ne pas se sentir vaguement touché par cette explication, par la présence de cette femme debout ? Et c’est avec un zeste de culpabilité au regard de la brave femme que je m’apprête à fouiller dans mon porte-feuille. Mais cette pancarte m’intrigue. Vraiment, cette personne gagne sa vie de nos oboles ? N’a-t-elle pas d’autre salaire ? La Pologne est-elle le pays du « capitalisme sauvage », « dur avec les faibles, doux avec les forts » ?

J’engage alors la conversation.

« Non, Monsieur, cet argent n’est pas pour nous. Quoique vous donniez, nous gagnons notre salaire, toujours le même »

« A quoi sert alors l’argent laissé par les utilisateurs des toilettes ? »

« Il sert à acheter les fournitures »

« Pardonnez-moi, je ne comprends pas ce que vous voulez dire » (pour ma décharge, la discussion se déroule en Polonais)

« Cet argent sert à acheter les détergents, les rouleaux de papier, ce genre de choses »

« Mais comment ça, ce n’est pas le centre commercial qui les met à votre disposition, c’est vous qui devez les acheter ? »

« Non, non, nous ne les achetons pas. Le centre commercial les achète. L’argent donné par les gens lui revient pour couvrir ces achats. S’il n’y a pas assez d’argent collecté dans le mois, le centre commercial prend la différence à sa charge. Dans tous les cas, il achète autant de papier qu’il en faut. »

Oh ! J’eus brusquement le sentiment un peu triste de mettre à jour une situation peu reluisante. Comme administrateur du centre commercial, quoi de plus légitime que de maîtriser, voir de réduire les coûts d’exploitation ?
Mais exploiter l’image de mérite et dépendance du ‘petit personnel’ pour collecter ces sommes, est-ce une façon de faire ? Certes à la lecture de la pancarte, il n’y a pas de mensonge formel. Il n’est dit nulle part que cet argent revient à ceux qui travaillent le détergent à la main. Mais de qui la dame pipi reçoit-elle instruction de rester debout à coté de la sébile pour renforcer encore l’impression trompeuse que cet argent lui revient ?

Ce n’est plus de l’habileté marketing. C’est de la manipulation. Le directeur de ce centre commerciale est un homme ou une femme qui a fait le choix volontaire du double langage. Cette femme, cette sébile, cette pancarte, sont une mise en scène. Nous sommes en face d’une construction complètement artificielle dont la signification émotionnelle est « donne pour cette femme » et la signification rationnelle est « paye ton PQ et ton détergent ». Légalement, tout est en règle; moralement, c’est détestable.

Cette dame (ma photo est authentique, prise avec son autorisation) a reçu cette fois là 10 fois plus que ce que la pancarte encourageait à donner, elle les a reçu directement, sans passer par la sébille. Mais elle les a reçu une fois, exceptionnellement.

Le mensonge forgé sur l’ambiguïté n’existe que par l’absence de communication.

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