Quand la vulnérabilité s’invite au travail : des preuves de solidarité qui inspirent
Dans le cours d’une vie professionnelle, il est rare de ne jamais être confronté à la fragilité d’un collègue : un burn-out, un deuil, une dépression, une période de grande fatigue. Ces moments peuvent être déstabilisants, mais ils sont aussi, très souvent, l’occasion de voir émerger des élans sincères de solidarité, d’attention et d’entraide.
Dans de nombreuses équipes, on voit des collègues se relayer pour alléger la charge de l’un d’eux, des managers offrir une écoute attentive et ajuster temporairement les objectifs, des collectifs se souder plutôt que se diviser. Ces situations vertueuses existent, et elles témoignent d’une culture humaine et responsable du travail.
Mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois, la vulnérabilité dérange. Elle vient heurter une logique de performance, de contrôle ou de “tenir bon à tout prix”. Et c’est là que les maladresses apparaissent : silence gêné, évitement, agacement, voire rejet.
Or, si ces réactions sont compréhensibles — personne n’est formé spontanément à accompagner la souffrance — elles peuvent accentuer la fragilité de la personne concernée, et nuire à la cohésion de l’équipe.
Accueillir la vulnérabilité ne devrait pas être l’exception, mais bien un réflexe collectif, intégré à la vie professionnelle comme une composante normale des relations humaines au travail.
Des réactions compréhensibles, mais potentiellement délétères
Face à la vulnérabilité, plusieurs postures apparaissent. Il arrive qu’un manager, débordé, adopte une posture de retrait, ne sachant pas comment aborder la situation. D’autres expriment de l’irritation face à la baisse de performance ou aux erreurs qui peuvent accompagner une période de fragilité. Parfois, le manque d’indulgence de la hiérarchie donne un signal implicite : celui qu’on ne peut pas se permettre d’aller mal ici.
Ce signal peut légitimer des comportements similaires dans l’équipe. Le jugement devient contagieux. La personne concernée, déjà fragilisée, perçoit alors que sa vulnérabilité est mal accueillie, ce qui accroît son isolement et alimente une spirale négative.
Ces réactions, bien que compréhensibles, doivent être reconnues et régulées si l’on souhaite préserver une dynamique collective saine.
Le vrai leadership se manifeste quand ça va mal
Être un bon manager ou un bon collègue quand tout va bien est relativement facile. C’est dans les moments de difficulté que le leadership et la maturité collective se révèlent réellement.
Accueillir un collaborateur vulnérable ne demande pas d’être un expert en santé mentale. Il s’agit d’abord de créer un espace sécurisé : savoir écouter sans juger, permettre à la personne d’exister dans sa fragilité sans en faire un tabou.
Cela passe aussi par la capacité à ajuster temporairement les attentes. Accepter que la performance ne soit pas au rendez-vous quelques semaines ne signifie pas abandonner les objectifs, mais poser un cadre souple, proportionné à la situation.
Enfin, cela suppose d’animer l’équipe de façon à éviter les effets d’exclusion ou d’agacement : rappeler que la solidarité est une valeur clé, et qu’elle se manifeste précisément dans ces moments-là.
Comme le rappelle l’INRS dans un rapport de 2017, le soutien du manager est un levier déterminant pour favoriser le maintien dans l’emploi et le retour au travail après un épisode de burn-out ou de dépression.
Anticiper les situations extrêmes : une responsabilité collective
Toutes les fragilités ne peuvent être évitées, mais beaucoup de situations de crise trouvent leur origine dans un terrain déjà fragilisé par des conditions internes : surcharge chronique, conflits latents, pression continue, manque de reconnaissance.
Agir uniquement en réaction, quand la situation est déjà critique, limite considérablement les marges de manœuvre. D’où l’importance de mettre en place, en amont, des pratiques et outils pour prévenir ces dérives.
Parmi les leviers efficaces, les rituels de régulation des tensions permettent d’ouvrir des espaces de parole réguliers où chacun peut exprimer ce qui pèse ou dysfonctionne. Même courts (quelques minutes en réunion), ces temps formalisés désamorcent bien des crispations.
L’évaluation du climat de travail est un autre outil précieux. Des baromètres anonymes ou des échanges collectifs sur le ressenti et la charge permettent d’identifier les signaux faibles. Ils rendent visible ce qui, autrement, reste diffus.
Enfin, prévenir la vulnérabilité suppose aussi de s’attaquer aux facteurs structurels de stress : zones de surcharge, rôles flous, objectifs irréalistes, injustices perçues. Le travail sur l’organisation n’est pas toujours visible, mais il est fondamental pour éviter que des situations ordinaires ne dégénèrent en crises personnelles.
L’ANACT le rappelle : la prévention des risques psychosociaux ne repose pas seulement sur des solutions individuelles, mais sur des transformations collectives de l’organisation du travail.
Recommandations pour une culture du soutien, permettant la vulnérabilité
Développer une culture du soutien passe par une série d’actions cohérentes, à la fois managériales et collectives. Il s’agit de :
– Former les managers à repérer et accompagner les fragilités sans culpabiliser ni infantiliser.
– Intégrer la santé mentale dans les sujets de dialogue social, au même titre que la performance ou les projets.
– Créer une culture où demander de l’aide est perçu comme un signe de maturité, non de faiblesse.
– Reconnaître publiquement les actes de solidarité, pour qu’ils deviennent la norme et non l’exception.
– Encourager chaque membre de l’équipe à contribuer à un climat de confiance, dans lequel chacun peut traverser un moment difficile sans craindre d’être mis à l’écart.
Conclusion : faire collectif, aussi (et surtout) quand ça va mal
Accueillir la vulnérabilité, ce n’est pas renoncer à l’exigence ou à la performance. C’est au contraire une condition pour construire un collectif durable, digne de confiance, capable de traverser les tempêtes.
On aime rire ensemble, célébrer les réussites, partager les succès. Mais c’est dans l’adversité que se forge une culture d’équipe solide, et que le lien humain prend tout son sens.
Pour aller plus loin :
- INRS – “Le rôle du manager dans la prévention des risques psychosociaux” (2017)
- ANACT – “Les conditions d’un travail soutenable” (2022)
- Brené Brown – Le pouvoir de la vulnérabilité (cf son TEDx)






